Interview de Philippe Ginestié reproduite avec l’aimable autorisation de Valérie Nau, rédactrice en chef d’Option Finance
« ChatGPT doit être appréhendé comme un super-assistant »
Si vous êtes notamment connu pour être le grand spécialiste des commandites par actions, on sait moins que vous vous êtes toujours personnellement intéressé de près aux nouvelles technologies et à leur application dans la sphère juridique. Alors que votre cabinet vient de fêter ses cinquante ans, que vous inspire l’explosion récente de ChatGPT ?
Les nouvelles technologies me passionnent depuis toujours. Dès 1982, je suis allé aux Etats-Unis pour voir s’il était possible de créer grâce à l’intelligence artificielle (IA) de l’époque un générateur de contrats. Je passais des jours et des nuits à rédiger des contrats et un tel outil m’aurait grandement facilité la tâche ! Mais à l’époque, la technologie n’était pas prête. Il a fallu attendre 2002 pour créer une legaltech gestionnaire de contrats avec un ami polytechnicien. En 2016, j’ai créé une nouvelle legaltech pour profiter des progrès technologiques et proposer un outil d’automatisation du contract management. L’arrivée de l’intelligence artificielle générative constitue à présent un superbe challenge, c’est une vraie révolution technologique. Non seulement son application est universelle et modifie totalement la structure des coûts, mais, contrairement aux précédentes révolutions technologiques, elle bénéficie dès son apparition de l’existence du réseau permettant sa mise en œuvre. Son impact va être explosif.
Comment un outil comme ChatGPT va-t-il influer sur l’exercice de votre métier ?
Il va en résulter un enrichissement formidable. Nous allons consacrer notre temps à améliorer des tâches préparées par l’intelligence artificielle. Et ceci est vrai pour les recherches, l’analyse de documents, la définition de stratégies et de processus de mise en œuvre, la rédaction de tout type de documents, de la réponse à des mails à la rédaction de contrats ou de consultations.
Par exemple, si je reçois un contrat de cinquante pages, une minute après l’outil m’en a fait un résumé en une page, en précisant le contenu des clauses que j’ai signalées. Ou il va me proposer une réponse à un mail ou un projet de rédaction d’une clause contractuelle.
Enfin, l’IA générative donne accès à une fabuleuse mine d’informations, car elle est insensible aux langues. Elle travaille sur des représentations vectorielles des concepts. Les langues ne lui servent qu’à absorber de la connaissance, comprendre les demandes des hommes et leur communiquer ses réponses. Elle réfléchit, si l’on peut dire, indépendamment de la langue de sa documentation. Elle nous donne ainsi accès à une universalité des sources et de leur combinaison.
Un cabinet d’avocats américain s’est toutefois illustré récemment en se référant, lors d’un procès, à des arrêts fournis par ChatGPT qui se sont révélés faux. Cela ne constitue-t-il pas un risque majeur pour un métier comme le vôtre ?
ChatGPT doit être appréhendé comme un « super-assistant ». Il faut vérifier les informations qu’il fournit. Le récent exemple américain a en tout cas bien illustré le fait que ce type d’outils pouvait avoir des « hallucinations », c’est-à-dire diffuser des informations erronées ou inventées. On sait maintenant qu’il faut se montrer vigilant, même s’il est probable que des programmes de vérification vont rapidement apparaître. ChatGPT est un levier extraordinaire, qui démarre et s’améliore chaque jour. Néanmoins, en cas d’erreur, ce ne sera pas lui le responsable, cela restera l’avocat et c’est heureux. La capacité des professionnels à gérer efficacement cet outil sans se laisser dominer par lui sera un gage de leur propre compétence et une condition de leur survie.
ChatGPT suscite aussi beaucoup d’inquiétudes parce qu’il pourrait concurrencer, voire remplacer, beaucoup d’emplois. Votre métier risque-t-il d’être concerné ?
Il est vrai qu’en automatisant beaucoup de tâches juridiques, l’IA générative va rendre moins discriminante l’offre des grands cabinets, qui sont très performants dans la gestion de process. A l’inverse, elle va permettre aux avocats de se concentrer sur la partie la plus riche de leur travail, à savoir la réflexion et le conseil, et d’accorder plus de temps à l’intelligence émotionnelle. Pour cela, il va falloir au préalable que nous apprenions tous à dialoguer avec ces machines car elles ne réfléchissent pas comme nous. Le « prompt engineering », c’est-à-dire la science de poser des questions, va devenir fondamental afin d’obtenir de la machine des réponses optimales. D’ici moins de trois ans, la différence se fera entre les cabinets qui auront intégré l’IA dans toutes leurs activités et les autres.
Philippe Ginestié
Fondateur
Fondateur du cabinet, il possède une large expérience dans les domaines du corporate et des opérations complexes où les considérations juridiques, fiscales et financières doivent être intégrées. Il a développé une expertise particulière dans l’organisation juridique des relations entre le contrôle du pouvoir dans les groupes.
Administrateur de la Fondation Alpha Oméga, il accompagne également des organismes à but non lucratif.