17/12/2024

Par Philippe Jouvet, Avocat Associé

La CEPC intraitable et clairvoyante sur les clauses de révision de prix dans les contrats Industrie-Commerce

La Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (CEPC) a publié le deux décembre dernier sa très importante recommandation n° 24-1 relative à un guide de bonnes pratiques en matière de clauses de révision automatique des prix et de clauses de renégociation dans les relations entre industriels et distributeurs.

La clause automatique de révision de prix (article L.443-8 du Code de commerce) et la clause de renégociation (article L.441-8 du même Code qui existe depuis 2014) sont centrales dans le dispositif EGalim car elles permettent une prise en compte de la variation du prix des intrants (et en premier lieu la matière première agricole (MPA)) dans les contrats portant sur la vente et la distribution de matières premières agricoles (MPA) et de produits alimentaires.

Ces clauses garantissent théoriquement donc « la marche en avant » du prix c’est-à-dire à partir des contraintes du producteur agricole vers les acheteurs successifs de la chaîne (premier acheteur, industriel, distributeur) et non, comme auparavant, à partir d’un prix déterminé de l’aval vers l’amont « en remontée ».

Dans la réalité pourtant, ces clauses sont particulièrement difficiles à mettre en œuvre et rarement utilisées par les acteurs, alors même que leur présence dans les contrats est obligatoire et sévèrement sanctionnée (375 000 € pour une personne morale).

Rappel du mécanisme des clauses:

La clause de révision automatique :

  • Fonctionne à la hausse comme à la baisse ;
  • Tient compte de la durée du cycle de production ;
  • Fait référence aux indicateurs prévus à l’article L. 631-24-III du Code Rural et de la Pêche Maritime (CRPM) : coûts de production, prix de marché, critères particuliers liés aux quantités/à la qualité etc.

La clause de renégociation :

  • Doit être insérée dans les contrats d’une durée supérieure à trois mois et sauf produits exclus par arrêté, et tient compte de la variation des prix des MPA et d’autres intrants (transport, énergie, emballages) dont les variations des prix affectent significativement les prix de production des produits faisant l’objet de la convention.

La CEPC rappelle à raison que les parties ont le choix d’inclure le ou les postes d’intrants qu’elles jugent pertinents.

  • Ne fait plus référence à des indicateurs (depuis EGalim 2). Ainsi, selon la CEPC « Si la référence à ces derniers est l’usage, rien n’exclut, ainsi, la possibilité pour les parties de se fonder sur d’autres éléments, comme par exemple les factures d’approvisionnement que produirait le fournisseur, pour prouver que les seuils de déclenchement sont atteints ».

Les mauvaises pratiques relevées par la CEPC :

S’agissant de la clause de révision automatique, le principal sujet est à rattacher à la difficulté globale de mise en œuvre de la formalisation des lois EGalim avec d’énormes trous dans la raquette : 

  • La contractualisation obligatoire « en amont » est loin d’être généralisée ;
  • Dans la chaîne amont-aval ayant pour débouché le commerce de détail, nous avions déjà alerté (et la CEPC nous rejoint sur ce point) sur l’application différenciée du dispositif EGalim pour les MPA d’origines étrangères : lorsque les MPA sont en tout ou partie importées, « il peut être plus difficile d’identifier les systèmes de publication d’indicateurs étrangers de référence comparables au système national (en dehors de cours mondiaux, relatifs au cacao ou aux céréales par exemple). Dans ce cas, la notion d’indicateurs de référence perd en pertinence (dans la mesure où la prise en compte des indicateurs nationaux pour des productions étrangères dont les coûts peuvent être très différents - coût du travail, en particulier- ne semble en effet pas adaptée) » ;
  • les grossistes sont exclus du champ d’application des dispositions de l’article L. 443-8 du Code de commerce.

A cela s’ajoute les contraintes propres à toute négociation contractuelle. 

Les clauses sont « déminées » par les parties pour ne pas se déclencher : seuils de variation des indicateurs de référence très élevés, période d’observation des indicateurs de référence très longues.

Ce phénomène s’explique notamment par le fait que « les deux parties, du fait de l’incertitude entourant l’évolution future des indicateurs visés, peuvent trouver un intérêt à neutraliser les clauses ».

Pour la CEPC, si la clause de révision automatique peut-être appropriée et adaptée dans le cadre des contrats amont, ainsi que pour des contrats aval (entre industriel et distributeur) portant sur une gamme limitée et homogène de produits pas ou peu transformés, « elle est plus complexe à mettre en œuvre pour des conventions aval dans lesquelles la profondeur de gamme est importante ». 

S’agissant de la clause de renégociation, la CEPC souligne le formalisme excessif de la mise en œuvre de la clause de renégociation telle que prévue à l’article L. 441-8.

Le formalisme prend la forme suivante :

  • Lorsque tous les critères de conditions et seuils de déclenchement sont remplis ;
  • La renégociation ne peut alors s’engager que si l’une des parties le demande ;
  • Les parties peuvent négocier pendant un mois au maximum et doivent établir un compte-rendu au terme de la négociation. 

A ce stade, il n’existe aucune obligation de résultat et les recours à l’arbitrage et la médiation en cas de litige découragent l’utilisation de ces clauses en pratique. 

Ainsi, les conventions aval étant généralement annuelles, quelle que soit la période d’observation des indicateurs retenue dans la clause (généralement entre trois et six mois), en cas de désaccord au terme de la négociation, les deux parties seront toujours – et selon toute probabilité pour un bon moment encore - en litige au moment où s’ouvriront les négociations annuelles suivantes. 

La CEPC fournit enfin 7 recommandations concernant les clauses de révision automatique des prix :

  1. Assurer la réciprocité dans les taux et seuils de déclenchement des clauses, à la hausse et à la baisse.
  2. Si cela est pertinent, reprendre les indicateurs prévus à l’amont au titre de l’article L.631-24 du CRPM.
  3. Pour les fournisseurs, proposer une formule de révision adaptée à leurs cycles de production et d’approvisionnement.
  4. Les seuils négociés doivent être réalistes, et en cohérence avec les cycles de production et de commercialisation des produits visés par le contrat afin de rendre la clause opérationnelle et ne pas conduire à une neutralisation de ses effets.
  5. Prévoir des clauses de révision par catégories de produits relativement homogènes lorsque le fournisseur propose une gamme très étendue.
  6. Prévoir que la révision intervienne au plus une fois par an lorsque le contrat est annuel voire deux fois en cas de variation significative de la matière première agricole.
  7. Assurer une publication et une mise à jour régulière des indicateurs par les organisations interprofessionnelles reconnues, comme le prévoit l’article L.631-24 du CRPM.

Ainsi que 2 recommandations concernant les clauses de renégociation :

  1. Dans le respect de l’esprit des articles L. 441-8 et L. 442-1, I, 2° du code de commerce, les parties peuvent ne tenir compte que des postes de coûts les plus pertinents parmi ceux mentionnés par ce texte.
  2. Assurer une publication et une mise à jour régulière des indicateurs par les organisations interprofessionnelles reconnues, comme le prévoit l’article L.631-24 du CRPM.

En conclusion, il est salutaire de constater que la CEPC assume son rôle de vigie pour le législateur. Ce dernier saura peut-être intégrer les recommandations les plus pertinentes dans la ou les futures lois sur les relations industrie-commerce.

A ce titre, nous recommandons que les fournisseurs devraient pouvoir d’ores et déjà intégrer leur clause de révision automatique du prix dans leurs conditions générales de vente ce qui faciliterait la « marche en avant » du prix, grand objectif des lois EGalim.

PHILIPPE J

Philippe Jouvet

Associé

Avocat specialise en droit de la concurrence, distribution et consommation, philippe jouvet est un expert du secteur agricole et agro-alimentaire.

ginestie-bas-de-page-01-5

Depuis plus de 50 ans, Ginestié Paley-Vincent réunit des avocats aux profils et compétences variés pour offrir un accompagnement sur mesure. En savoir plus

Ginestié Paley-Vincent – SELAS à capital variable