Par Nicolas Lepetit, Associé, Julie Ebran, Counsel et Wissam Allaoui, stagiaire
Licenciement pour motif économique : dernières actualités
Par deux arrêts en date du même jour, 5 avril 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation a apporté des précisions importantes sur la procédure de licenciement pour motif économique.
La consultation des représentants du personnel ne s’impose pas en cas de licenciement pour motif économique individuel
L’employeur qui « envisage » de procéder à un "petit" licenciement collectif pour motif économique (2 à 9 salariés sur une période de 30 jours) doit réunir et consulter son CSE, c’est-à-dire le comité social et économique (art. L.1233-8 C.trav.).
Dans cette première affaire, l’employeur avait projeté de procéder à la suppression de trois postes mais, puisque deux des trois salariés avaient pu être reclassés en interne, seul l’un d’eux était encore concerné par une mesure de licenciement. Ce salarié avait néanmoins soutenu que l’entreprise aurait dû consulter les représentants du personnel (ce qu’elle n’avait pas fait), dès lors qu’initialement, elle avait bien envisagé trois suppressions de postes, et donc trois licenciements. Le raisonnement était logique, dès lors que le texte fait référence à des licenciements seulement envisagés ; d’ailleurs, le salarié avait été suivi par la Cour d’appel. Cette décision est cependant censurée par la Cour de cassation, qui juge au contraire que, puisque deux des trois salariés avaient accepté leur reclassement interne, le licenciement n’avait été envisagé qu’à l’égard d’un seul d’entre eux et, partant, les représentants du personnel n’avaient pas à être consultés dans ce cas.
Cette décision, qui a pour effet d’alléger les obligations reposant sur les employeurs, ne convainc cependant guère juridiquement, dès lors que les propositions de reclassement s’inscrivent dans la procédure de licenciement pour motif économique et doivent en principe suivre la consultation du CSE. D’ailleurs, la procédure applicable en cette matière dépend de l’effectif de l'entreprise et du nombre de licenciements envisagés, qui doivent être appréciés au moment de l'engagement de la procédure, peu important le nombre de licenciements qui interviendront effectivement (Cass. Soc. 12 octobre 2004, n°02-40.685). Cette décision étonne donc, ce d’autant qu’elle est publiée au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, laquelle lui reconnaît ainsi une portée doctrinale.
En tout état de cause, les entreprises doivent demeurer prudentes. En effet, même lorsqu’elles n’envisagent qu’un licenciement pour motif économique individuel, elles peuvent être tenues de consulter leur CSE.
D’une part, en effet, une telle mesure peut s’inscrire dans une réorganisation et/ou avoir des conséquences sur l’organisation, impactant plusieurs salariés. Dans ce cas, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le CSE devrait être consulté au titre de ses attributions générales en matière économique, en cas de projet de restructuration et de compression des effectifs ou, plus largement, si la question intéresse l’organisation, la gestion ou la marche générale de l’entreprise, en particulier le volume des effectifs ou les conditions de travail (art. L.2312-8 et L.2312-39 C.trav.).
D’autre part, même en cas de licenciement pour motif économique individuel, l’employeur peut avoir à prendre en compte, pour le choix du salarié concerné, des critères d’ordre qui sont définis après consultation du CSE (art. L.1233-5, L.1233-7 C.trav. ; Cass. Soc. 21 juin 1994, n°93-40.670). Il n’est pas exclu que cet arrêt de 2023 participe à remettre en cause cette ancienne position jurisprudentielle, dont le fondement est également discutable.
En cas d’acceptation d’un CSP, le motif de rupture peut être précisé dans les 15 jours
Sauf dans les très grandes entreprises, l’employeur qui envisage de procéder à un ou plusieurs licenciements pour motif économique doit proposer à ses salariés un dispositif d’accompagnement appelé contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Si le salarié adhère au CSP, le contrat de travail est rompu automatiquement au terme d’un délai de réflexion de 21 jours. L’employeur doit informer le salarié des raisons économiques de la rupture alors envisagée ainsi que de leur incidence sur l’emploi, au moment de la remise de la documentation, ou dans la lettre de licenciement éventuellement notifiée à titre conservatoire, et en tout cas, au plus tard, au moment de l’acceptation du dispositif.
Par ailleurs, depuis 2018, l’employeur peut préciser les « motifs énoncés dans la lettre de licenciement » postérieurement à la notification de celle-ci, spontanément ou à la demande du salarié, dans un délai de 15 jours (art. L.1235-2, R.1233-2-2 C.trav.).
Même si la proposition de CSP s’inscrit dans une procédure de licenciement pour motif économique, et que ce dispositif est prévu dans la partie du Code du travail relative au licenciement pour motif économique, la rupture du contrat du travail intervient, dans ce cas, non pas par la notification d’une lettre de licenciement, mais du fait de l’adhésion du salarié au CSP (art. L.1233-67 C.trav.). Du reste, le régime diffère sur quelques points puisque, en cas d’adhésion au CSP, et contrairement au licenciement, le salarié ne bénéficie d’aucune indemnité (compensatrice) de préavis et l’administration n’a pas à être informée de la rupture (hors PSE et licenciements notifiés à titre conservatoire) (art. L.1233-19, L.1233-67, D.1233-3 C.trav.). Il n’allait donc pas de soi que l’employeur puisse préciser les motifs de la rupture dans un délai de 15 jours, comme cela lui est expressément autorisé en cas de licenciement.
C’est pourtant la position adoptée par la Cour de cassation dans son second arrêt du 5 avril 2023. Dans cette affaire, les salariées s’étaient vu remettre le formulaire de CSP lors de leur entretien préalable le 21 septembre 2018 et y avaient adhéré le 27 septembre suivant, à effet au 12 octobre. Entre temps, le 9 octobre, l’employeur avait précisé les motifs de la rupture dans un document écrit (lettre de licenciement à titre conservatoire). La Haute juridiction considère que l’entreprise avait pu valablement préciser les motifs dans le délai de 15 jours suivant l’adhésion au CSP.
Les entreprises doivent demeurer vigilantes car, si l’employeur peut préciser a posteriori les motifs de la rupture envisagée, il ne peut en revanche pas ajouter de nouveaux motifs. Il est donc impératif qu’un document d’information soit remis au salarié dès la remise du formulaire de CSP, puisque le salarié peut adhérer à ce dispositif le jour-même.
Nicolas Lepetit
Associé
Avant de rejoindre Ginestié Magellan Paley-Vincent, Nicolas Lepetit a exercé au cabinet Legrand Bursztein Beziz et avocats (LBBa), puis au cabinet Bersay & Associés pendant plus de 10 ans et en dernier lieu en qualité de Of Counsel.
Julie Ebran
Counsel
Elle conseille quotidiennement une clientèle française et internationale, sur tous les aspects du droit du travail (relations individuelles comme collectives). Elle exerce également une activité contentieuse au sein de l'équipe de droit social et participe aux opérations de restructurations en collaboration avec l'équipe Corporate.