Par Carine Duchemin, Associée
La loi de finances pour 2024 publiée au JO le 30 décembre 2023, s’inscrit globalement sous le sceau du rétablissement des comptes publics, avec un retour sous les 3 % de déficit programmé à l’horizon 2027, et de la poursuite des baisses d’impôts amorcée en 2022, devant conduire à une baise du taux de prélèvement obligatoire de plus d’un point de PIB entre 2022 et 2027.
Le législateur a mobilisé ses travaux sur la fiscalité du logement et la fiscalité en faveur de la transition énergétique et environnementale, préoccupations majeures des politiques publiques.
Enfin, au centre des débats depuis plusieurs années, la lutte contre la fraude fiscale continue d’être renforcée avec la création de nouveaux outils de contrôle à la disposition de l’administration fiscale.
Nous vous présentons ces nouveaux dispositifs fiscaux et les aménagements les plus notables.
Concernant les particuliers :
Aucune mesure significative en matière d’impôt sur les revenus n’est à relever, hormis la revalorisation du barème progressif, devant neutraliser les effets de l'inflation sur le niveau d'imposition des ménages. La limite de chacune des cinq tranches du barème de 2023 est ainsi relevée de 4,8 %.
Mettant un terme aux divergences survenues entre l’administration fiscale et le juge administratif, la loi de finances acte l’exclusion de l’activité de location de logements meublés au dispositif de faveur Dutreil, qui exonère de droits de mutation les transmissions d’entreprises à hauteur de 75%.
S’agissant du volet des transmissions d’entreprise, que le législateur souhaite encourager, les abattements de droits d’enregistrement applicables aux cessions ou donation de fonds de commerce et assimilés ou de parts d'une société en cas de reprise interne, c’est-à-dire lorsque l’opération bénéficie aux salariés ou aux membres de la famille du cédant qui poursuivent l’exploitation de l’entreprise pendant 5 ans au moins, sont relevés de 300 000 € à 500 000 €.
En matière de succession, il est mis un terme à la faculté, jugée trop « optimisante », de déduire de l’actif successoral taxable la dette de restitution du défunt consécutive à la donation, par celui-ci, de la nue-propriété d’une somme d’argent dont il s’était réservée l’usufruit (schéma de quasi-usufruit).
Concernant l’investissement :
Afin de gommer les différences de traitement, en matière d’IFI, selon que l’actif immobilier imposable soit détenu directement par le contribuable ou par l’intermédiaire d’une société, la loi de finances prévoit que les dettes sociales non liées à l’actif imposable ne peuvent dorénavant plus être prises en compte pour la valorisation des parts sociales imposables à l’IFI. Pour mémoire, en cas de détention directe, la valeur de l’immeuble peut être minorée des seules dettes afférentes aux actifs imposables.
Les difficultés sur le marché du logement, plus que jamais sous les feux de l’actualité à l’approche des Jeux olympiques, ont incité le législateur a raboté quelque peu la fiscalité attractive des locations meublées de tourisme. Le régime micro-BIC de ces locations classées meublées de tourisme est aligné sur celui des locations nues relevant du régime micro-foncier : le plafond d’éligibilité audit régime est abaissé, de 188 700 € à 15 000 € de recettes hors taxes ; l'abattement forfaitaire venant en déduction des recettes passe de 71% à 30%.
Le régime de TVA de la parahôtellerie, jugé non conforme à la Directive TVA, est redéfini : un nouveau critère de durée de séjour (30 jours au plus) caractérisant l’activité de parahôtellerie soumise à TVA est introduit, cumulativement au critère tenant à la nature des prestations (location meublée et fourniture d’au moins 3 des 4 prestations suivantes : petit déjeuner, nettoyage régulier des locaux, fourniture de linge de maison et réception de la clientèle).
Le régime de TVA du marché de l’art est également aménagé : le législateur français a étendu le taux réduit de 5,5 % à toutes les livraisons, importations et acquisitions intracommunautaires d’œuvres d’art, d’objet de collection ou d’antiquité, sauf application du régime de la marge (application en principe du taux normal). Antérieurement, seule la première opération portant sur de tels biens pouvait bénéficier d’un taux réduit (5,5 % ou 10% selon les cas), tandis que leurs reventes étaient soumises au taux normal.
Par ailleurs, l’option pour le régime de la marge est supprimée, de même que le régime de la marge forfaitaire. Le contribuable soumis de plein droit au régime de la marge peut quant à lui opter pour la taxation sur le prix de vente, auquel cas c’est le taux réduit qui s’applique.
Concernant la fiscalité des entreprises :
La Directive Pilier 2, visant à lutter contre le dumping fiscal par l’instauration d’un taux minimum mondial d’imposition sur les sociétés fixé à 15%, a été transposée en France. Sont concernées les entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 750 M €. Ces dernières devront payer un impôt complémentaire dans chaque pays d’implantation dans la mesure où leur taux effectif d’imposition y est inférieur à 15%.
En matière de prix de transfert, le seuil de déclenchement de l’obligation documentaire à la charge des entreprises est abaissé, passant de 400 M € à 150 M € (chiffre d'affaires ou montant d'actif brut de l’entreprise).
Enfin, est instituée une présomption de transfert indirect de bénéfices lorsqu'est constaté un écart entre le montant du prix de transfert pratiqué par l'entreprise et celui qui aurait dû être atteint en application de la méthode décrite dans la documentation.
Enfin, le montant d’amende minimum à la charge de l’entreprise défaillante en matière de documentation de prix de transfert est rehaussé, passant de 10 000 € à 50 000 €.
Le régime des produits de participation est à nouveau aménagé, à la suite d’une condamnation de la législation française par la Cour de justice de l’Union européenne
Ainsi, s’agissant des produits de participation entre sociétés appartenant à un même groupe fiscal, le bénéfice du taux réduit de 1% de la quote-part pour frais et charges (QPFC) est désormais subordonné à l’appartenance de la filiale distributrice au groupe intégré depuis plus d’un exercice. Aucune condition de durée de détention n’était jusqu’alors imposée, si bien que le taux réduit s’appliquait dès le premier exercice d’intégration.
Le taux réduit de la QPFC a été étendu aux produits de participation ouvrant droit au régime mère-filles reçus d’une filiale européenne dite « intégrable » (éligibilité au régime de l'intégration fiscale si elle avait été résidente en France) au profit d’une société française ayant renoncé à se constituer membre d'un groupe fiscal avec d’autres sociétés françaises alors que ces dernières en remplissaient les conditions. Pour mémoire, la renonciation au régime de l’intégration fiscale excluait le bénéfice du taux réduit de la QPFC sur les dividendes mère-filles perçus de sociétés européennes détenues à 95% au moins. En revanche et paradoxalement, les dividendes mère-filles provenant de sociétés françaises n’ayant délibérément pas été intégrées restent soumis à une QPFC de 5%, le législateur n’ayant, pour l’heure, pas souhaité neutraliser cette discrimination à rebours.
La même exclusion s’appliquait pour les produits de participation n'ouvrant pas droit au régime mère-fille. Dorénavant, la société française ayant renoncé à constituer un groupe d’intégration peut retrancher de son bénéfice net, à hauteur de 99 %, les produits perçus à raison d'une participation dans une société européenne « intégrable », sous réserve que les conditions pour bénéficier du régime de groupe soient remplies depuis plus d'un exercice.
Le dispositif d’incitation fiscale à l’égard des startups qui engagent 15 % au moins de dépenses de recherche, dit Jeunes entreprises innovantes (JEI), est aménagé. Si le statut est élargi, sous conditions, aux jeunes entreprises engageant au moins 5% de dépenses R&D, l’exonération d’impôts sur les bénéfices dont pouvaient faire l’objet les entreprises éligibles est supprimée. L’exonération d’impôts locaux et de cotisations sociales est en revanche maintenue.
Parallèlement à l'élargissement du statut des jeunes entreprises innovantes, le financement de l’innovation bénéficie d’un nouveau dispositif incitatif : la souscription au capital des JEI ouvrira droit, dans une certaine limite, à une réduction d’impôt au taux de 30 % ou 50 % (en fonction de la proportion de dépenses R&D de l’entreprise).
Enfin, deux mesures sont décalées dans le temps :
Initialement prévue sur deux ans par la loi de finances pour 2023 et promise par le Gouvernement aux entreprises, la suppression de la CVAE sera finalement étalée sur quatre années, pour une suppression définitive à compter de 2027, contraintes budgétaires obligent.
La facturation électronique obligatoire est quant à elle repoussée au 1er septembre 2026 pour les ETI et les grandes entreprises et au 1er septembre 2027 pour les PME.
En matière de contrôle :
Le dispositif de recherche automatisée d'infractions fiscales à partir des données de masse librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateformes en ligne, jusque-là cantonné à la découverte d’activité occulte et au non-respect des règles de domiciliation fiscale, est étendu aux insuffisances délibérées de déclaration (minoration des bases d’imposition).
Les visites et saisies domiciliaires, permettant à l’administration de démontrer des agissements frauduleux lorsqu’existent des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement de l’impôt, pourront dorénavant également être autorisées dès lors qu’existent des présomptions qu'un contribuable souscrit des déclarations inexactes en vue de bénéficier de crédits d'impôt prévus au profit des entreprises.
Est également crée un délit autonome de mise à disposition d'instruments de facilitation de la fraude fiscale, sanctionnant les personnes qui mettent à la disposition de tiers des moyens, services, actes ou instruments leur permettant de se soustraire à leurs obligations fiscales.
Carine Duchemin
Associée
Au sein du département Fiscal, Carine Duchemin intervient en fusion-acquisition, en restructuration d’entreprises et de groupes. Elle a une activité internationale importante comme conseil de groupes internationaux, notamment dans le domaine de l’hôtellerie. Carine Duchemin assiste également les entreprises et leurs dirigeants dans le cadre de contrôles et de contentieux fiscaux.