Par Nicolas Lepetit, Associé
Recevabilité d’une preuve déloyale : revirement de jurisprudence
La jurisprudence a consacré un droit à la preuve. En droit civil, notamment en matière prud’homale, une distinction devait cependant être faite entre :
- D’une part, une preuve illicite, portant notamment atteinte à la vie privée, qui peut être recevable si elle est indispensable au succès de la prétention et que l’atteinte portée aux droits antinomiques est strictement proportionnée au but poursuivi (1);
- D’autre part, une preuve déloyale, recueillie à l’insu d’une personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème, qui, jusqu’alors, était irrecevable (2).
Le 22 décembre 2023, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a toutefois décidé de faire évoluer sa jurisprudence, notamment parce que la frontière entre les preuves illicites et déloyales est parfois difficile à tracer et qu’une telle distinction n’est faite ni en matière pénale (3), ni en matière civile par la Cour européenne des droits de l’homme (4).
Dans une 1ère affaire, l’employeur avait enregistré le salarié, à son insu, lors d’un entretien informel, et s’était appuyé sur ses déclarations pour le licencier. Dans la 2nde affaire, un intérimaire qui avait utilisé le poste informatique d’un salarié absent ayant omis de fermer sa session, avait pu accéder à des propos injurieux et homophobes le visant dans une conversation privée Facebook, et en avait informé l’employeur, qui avait licencié le salarié pour faute grave. Dans ces deux affaires, les cours d’appel ont jugé que les preuves étaient déloyales et donc irrecevables. Les employeurs ont chacun exercé un pourvoi en cassation et, compte tenu de la question de principe posée, les affaires ont été renvoyées devant l’assemblée plénière.
Opérant un revirement de sa jurisprudence, la Cour de cassation juge désormais, comme en matière de preuve illicite, qu’une preuve déloyale peut être présentée au juge dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice des droits du justiciable et ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes, etc.). Le juge doit donc mettre en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. En revenant sur sa jurisprudence antérieure qui pouvait conduire à priver une partie « de tout moyen » de faire la preuve de ses droits, la Cour de cassation semble considérer que, pour être admise, une preuve obtenue de manière déloyale doit être l’unique moyen laissé à une partie pour faire triompher ses prétentions, en demande ou en défense.
Dans la 1ère affaire, il appartiendra à la Cour d’appel de renvoi de dire si l’enregistrement réalisé à l’insu du salarié était indispensable pour prouver sa faute, ainsi que proportionné (ce qui n’est pas le cas selon l’avocat général près la Cour de cassation) (5).
Dans la 2nde affaire, la Cour s’en est tenue à la jurisprudence selon laquelle un salarié ne peut être licencié pour un motif en lien avec sa vie personnelle que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles (6), ce qui n’a pas été retenu en l’espèce, la haute juridiction ayant considéré que la conversation privée sur Facebook n’avait pas vocation à être rendue publique et ne pouvait s’analyser en un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail (l’avocat général avait pour sa part pointé la violation du secret des correspondances) (7).
Nicolas Lepetit
Associé
Avant de rejoindre Ginestié Magellan Paley-Vincent, Nicolas Lepetit a exercé au cabinet Legrand Bursztein Beziz et avocats (LBBa), puis au cabinet Bersay & Associés pendant plus de 10 ans et en dernier lieu en qualité de Of Counsel.