Par Nathalie Boudet-Gizardin, associée et Camille Faour, collaboratrice

La réforme de la médecine nucléaire

La réforme de la médecine nucléaire, qui entrera en vigueur à compter du 1er juin 2023, sème le trouble parmi les groupes de médecine nucléaire. 

Si elle a été bien accueillie par le Syndicat National de Médecine Nucléaire (SNMN) et saluée par la profession, il n’en demeure pas moins qu’elle suscite de profondes inquiétudes et cristallise bon nombre d’interrogations.

Quelles sont les grandes lignes de la réforme ?

Après de longues années de discussions initiées en 2015, la réforme de la médecine nucléaire a enfin vu le jour par la publication de deux décrets du 30 décembre 2021 et du 1er février 2022 et d’un arrêté du 1er février 2022. 

Elle fait suite au constat d’un déficit d’équipements matériels lourds (EML) en la matière en France et témoigne d’une volonté d’assurer une meilleure qualité et sécurité des soins des patients.

La médecine nucléaire devient une activité de soins soumise à autorisation

La réforme opère un bouleversement majeur en érigeant la médecine nucléaire au rang des activités de soins soumises à autorisation de l’Agence Régionale de Santé (ARS).

Ainsi, la médecine nucléaire obéit à un régime d’autorisation qui ne répond plus à celui des EML mais à celui des activités de soins.

Introduite dans la liste des activités de soins, l’activité de médecine nucléaire est désormais définie à l’article R. 6123-134 du Code de la santé publique comme : 

« l'utilisation, dans un but diagnostique ou thérapeutique, d'un médicament radiopharmaceutique ou d'un dispositif médical implantable actif, en sources non scellées, émetteur de rayonnements ionisants, administré au patient (…) ». 

Elle inclut l’utilisation d’une caméra à tomographie d'émission mono photonique (gamma caméra) ou à tomographie par émission de positons (autrement appelé PET-scan) ou d’autres systèmes d’imagerie. 

Dès lors, la procédure permettant d’exercer l’activité de médecine nucléaire change : les médecins de cette spécialité n’auront plus besoin de déposer des dossiers d’autorisation d’EML mais des dossiers d’autorisation d’activité de soins. 

La gradation de l’activité en deux niveaux 

Alors que l’activité de médecine nucléaire n’était auparavant pas réglementée de façon autonome dans le code de la santé publique, la réforme organise désormais une gradation de l’activité de médecin nucléaire en deux niveaux, liée aux contraintes inhérentes à l’utilisation des médicaments radiopharmaceutiques : 

La mention « A », lorsque l’activité comprend les actes diagnostiques ou thérapeutiques hors thérapie des pathologies cancéreuses, réalisés par l’administration de médicament radiopharmaceutique prêt à l’emploi ou préparé conformément au résumé des caractéristiques du produit, selon un procédé aseptique en système clos ;

La mention « B », lorsque l’activité comprend, outre les actes de la mention « A », les actes suivants :

  • Les actes diagnostiques ou thérapeutiques réalisés par l’administration de médicament radiopharmaceutique préparé selon un procédé aseptique en système ouvert ;
  • Les actes diagnostiques réalisés dans le cadre d’explorations de marquage cellulaire des éléments figurés du sang par un ou des radionucléides ;
  • Les actes thérapeutiques réalisés par l’administration de dispositif médical implantable actif ;
  • Les actes thérapeutiques pour les pathologies cancéreuses réalisés par l’administration de médicament radiopharmaceutique. 

Les nouvelles conditions techniques d’implantation et de fonctionnement des EML 

Pour obtenir l’autorisation de soins de médecine nucléaire dans l’une ou l’autre des mentions précitées, les actuels titulaires d’autorisations d’EML devront remplir, outre les conditions communes à tous les sites de médecine nucléaire, les conditions d’implantation et de fonctionnement spécifiques à la mention A ou à la mention B selon le cas.

En outre, l’activité fera l’objet d’une autorisation unique par site géographique, sur lequel le titulaire pourra exploiter un maximum de trois appareils d’imagerie nucléaire, qui ne seront donc plus soumis à un régime d’autorisation préalable des EML mais à une simple déclaration auprès de l’ARS. 

Il sera néanmoins possible de déroger à ce seuil, au cas par cas, et de disposer d’un nombre d’équipements supérieur dans l’hypothèse où le volume des actes, la spécialisation de l’activité ou encore la situation territoriale le justifierait, après demande formulée auprès du Directeur Général de l’ARS.

Quelles sont les incidences de la réforme pour les actuels titulaires d’autorisations d’EML ? 

Bien que très attendue, la réforme de la médecine nucléaire créée un climat anxiogène pour certains centres de médecines nucléaires, titulaires d’autorisations d’EML, en proie à de nombreuses incertitudes tenant au maintien de leurs autorisations actuelles et à la nécessité de se restructurer juridiquement lorsqu’ils sont constitués sous la forme de GCS de moyens ou de GIE.

La « remise en jeu » des autorisations d’EML déjà obtenues 

Le décret du 30 décembre 2021 prévoit, en son article 2, que les titulaires d’autorisations de TEP et de gamma-caméras, délivrées avant le 1er juin 2023, devront déposer une nouvelle demande d’autorisation d’activité de soins pour poursuivre leur activité de médecine nucléaire, lors de la première fenêtre de dépôt qui s’ouvrira le 1er juin 2023. 

Cette demande fera l’objet d’un dossier spécifique selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de la santé, lequel reste à paraître, et est bien évidemment très attendu.

En effet, la question se pose de savoir si cette procédure de dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation d’activité de soins pourrait venir remettre en cause la titularité des autorisations d’EML déjà obtenues par des structures libérales ou portant des partenariats publics/privés.

A ce jour :

  • il n’est pas prévu de transfert automatique d’une autorisation d’EML déjà attribuée en une autorisation de soins ;
  • les titulaires des autorisations d’EML actuellement en vigueur n’ont aucune garantie de les voir perdurer à l’issue du dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation d’activité de soins.

Les demandeurs pourront – et c’est un minimum - fort heureusement poursuivre l’exploitation de leurs autorisations d’EML jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur demande d’autorisation d’activité de soins.

Les incertitudes juridiques pesant sur les centres de médecine nucléaire organisés sous la forme de GCS de GIE ou de SCM

La transformation de la médecine nucléaire en activité de soins va certainement imposer une restructuration juridique des GCS, GIE, et SCM, structures de moyens, aujourd’hui détenteurs d’autorisations de gamma-caméras et de TEP. 

Les GCS de moyens détenteurs d’EML

En l’absence de nouvelles dispositions à venir, les actuels GCS de moyens détenteurs d’autorisations d’EML qui souhaiteront obtenir, à compter du 1er juin 2023, une autorisation d’activité de soins de médecine nucléaire, vont être contraints de se transformer en GCS établissements de santé et ainsi être soumis aux obligations inhérentes à ce statut.

Rappelons en effet, qu’en application de l’article L. 6133-7 du Code de la santé publique, le GCS titulaire d’une ou de plusieurs autorisations d’activité de soins est érigé en établissement de santé. 

« Le groupement de coopération sanitaire de droit privé est érigé en établissement de santé privé et le groupement de coopération sanitaire de droit public est érigé en établissement public de santé, par décision du directeur général de l'agence régionale de santé. »

Ainsi, les centres de médecine nucléaire constitués actuellement sous la forme de GCS de moyens, de médecins libéraux avec ou sans établissement de santé, n’auront d’autre choix que de se transformer en GCS établissements de santé, avec toutes les contraintes organisationnelles inhérentes à ce statut, en termes de certification, d’instances de représentation, de CPOM, etc.

Les GIE et SCM détenteurs d’EML 

À l’instar des GCS, les centres de médecine nucléaire organisés sous la forme de GIE, ou de SCM (plus rares), détenteurs d’autorisations d’EML, ne seront pas épargnés par la restructuration de leur activité.

En effet, la doctrine s’accorde à dire que le GIE, structure de moyens, dont le but est de faciliter ou de développer l’activité économique de ses membres, et d’’améliorer ou d’accroître les résultats de cette activité, en application de l’article L. 251-1 du Code de commerce, ne peut par nature exercer une activité de soins.

Là encore, cette situation imposera nécessairement aux GIE ou SCM, déjà titulaires d’EML, qui souhaiteront poursuivre leur activité de médecine nucléaire, de se transformer en GCS établissement de santé ou de se restructurer en société d’exercice libéral de médecins, habilités à porter une autorisation de soins.

En effet, rappelons que « seuls un ou plusieurs médecins, éventuellement associés, un établissement public de santé, une personne morale, de droit public ou de droit privé (association, fondation, mutuelle, congrégation, société commerciale, groupement de coopération sanitaire de l'article L. 6133-7 du code de la santé publique) dont l'objet porte notamment sur l'exploitation d'un établissement de santé ou d'une activité de soins peuvent être titulaires d'autorisations ayant un tel objet (établissement ou activité de soins) » 1

Au-delà des structures de médecine nucléaire composés exclusivement de médecins, ce changement de nature et de régime juridique des titulaires d’autorisations va certainement venir ébranler les partenariats publics-privés incités ou imposés par les ARS, et constitués parfois à l’issue de longues négociations.

Espérons que de nouveaux textes viendront éclaircir les conditions de la transformation des actuelles autorisations d'EML en autorisations de soins, et prévoiront des dispositions transitoires suffisantes pour permettre aux acteurs de la médecine nucléaire de se conformer aux nouvelles exigences de la réforme.

La question reste de savoir si l’évolution du régime des autorisations d’imagerie en coupe, annoncée pour début 2022, suivra le même chemin. A priori non, mais cela reste à confirmer lors de la parution des textes.

1 - Maxence Cormier, Avocat à la cour d'appel de Paris, RDSS 2020 p.484 « Titularité et exploitation des autorisations sanitaires »

Portraits GINESTIÉ MAGELLAN PALEY-VINCENT 2021

Nathalie Boudet-Gizardin

Associée

Experte en Droit de la santé et des professions réglementées (conseil et contentieux), elle intervient dans différents domaines : structuration de l’activité des professionnels de santé, conseil sur les aspects réglementaires et déontologiques de leur activité, défense des acteurs de la santé dans des contentieux complexes, corporate santé, contentieux civils et disciplinaires des professions réglementées.