Par Marine Vanhoucke, associée.

La nouvelle chambre de la Cour d’appel de Paris spécialisée dans le devoir de vigilance vient de rendre ses décisions tant attendues dans les affaires TotalEnergies, EDF et Suez offrant ainsi des précisions significatives concernant la responsabilité environnementale des entreprises.

Sept ans après l’adoption de la loi pionnière sur le devoir de vigilance (n° 2017-399) et 1 mois après la validation de la directive CSDDD par le Conseil Européen, l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de construire une jurisprudence quasi inexistante.

Pour rappel, La loi oblige les entreprises dépassant certains seuils à établir et publier un plan de vigilance comportant «les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement ». En cas de manquement, la société peut être mise en demeure de régulariser puis, à défaut de s’être conformée, se voir assigner en justice par toute personne justifiant d’un intérêt à agir.

Jusqu’à présent, seule La Poste a été condamnée au fond par le Tribunal Judiciaire de Paris du fait des insuffisances de son plan de vigilance, celui-ci faisant notamment état d’une cartographie des risques trop imprécise. 

La création annoncée en janvier dernier, de cette chambre 5-12ème au sein du pôle économique de la Cour d’appel de Paris a ouvert la voie à la judiciarisation du sujet afin de répondre aux attentes de prévisibilité jurisprudentielle. 

Celle-ci est dotée d’une compétence nationale pour statuer en appel sur l’ensemble des décisions relatives au devoir de vigilance et c’est dans ce cadre, que se sont tenues en mars dernier ses premières audiences concernant les appels de décisions du Tribunal judiciaire de Paris dans les affaires TotalEnergies, EDF et Suez. 

Dans la première affaire, il est reproché à TotalEnergies les insuffisances de son plan de vigilance prévoyant la poursuite de certains projets d’exploration de gisements d’hydrocarbures en Afrique non conformes aux exigences de l’Accord de Paris. Dans le deuxième cas, EDF est accusée de ne pas avoir consulté les populations autochtones dans le cadre d’un projet de parc éolien au Mexique. Dans la troisième affaire, des manquements répétés sont reprochés à Suez dans une de ses usines au Chili ayant eu pour conséquence de rendre impropre le réseau local d’eau potable.

En première instance, ces actions intentées par des organisations non gouvernementales et des collectivités locales avaient toutes été déclarées irrecevables. Avant même de pouvoir se prononcer sur le fond, l’enjeux de la décision de la Cour d’appel était donc la recevabilité. 

Si la décision rendue le 18 juin confirme l’irrecevabilité dans l’affaire Suez (la filiale ayant été assignée et non la société mère auteure du plan de vigilance), elle déclare recevables certains demandeurs dans les dossiers EDF et TotalEnergies et pourrait donc permettre une analyse des dossiers au fond par le Tribunal judiciaire de Paris et la clarification longtemps espérée des contours du devoir de vigilance.

Par ailleurs, cette décision offre déjà des précisions procédurales concernant la mise en jeu de la responsabilité d’une société sur le fondement du devoir de vigilance. En effet, elle rappelle que la mise en demeure préalable constitue une condition de recevabilité de l’action et qu’elle doit comporter des griefs suffisamment clairs pour permettre à la société de se mettre en conformité. En revanche, elle précise qu’il n’est pas nécessaire que l’assignation et la mise en demeure visent le même plan de vigilance en termes de dates à condition qu’elles visent toutes les deux les mêmes obligations.

La Cour d’appel apporte également des précisions concernant l’intérêt à agir des demandeurs, notamment des collectivités locales qui ne peuvent se contenter d’invoquer une atteinte affectant l’ensemble de la planète et doivent justifier d’une atteinte spécifique liée aux territoires qu’elles administrent.

Sous réserve d’un pourvoi en cassation, le Tribunal judiciaire devrait donc bientôt pouvoir se prononcer dans les affaires EDF et TotalEnergies. En parallèle, plusieurs autres contentieux sont en cours en première instance et la chambre spécialisée de la Cour d’appel de Paris aura bientôt à connaître de l’appel dans l’affaire La Poste. Les contours de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises devraient donc petit à petit se clarifier. A suivre…

MARINE RVB

Marine Vanhoucke

Associée

Marine Vanhoucke conseille les entreprises en matière de Propriété Intellectuelle et les accompagne sur leurs sujets de Conformité.

Responsable du bureau de Hong Kong, elle assiste les sociétés françaises dans leur implantation et croissance en Asie et a construit une expertise des questions juridiques de droit international, mêlant notamment des intérêts français et asiatiques.