L’Observatoire des délais de paiement vient de publier son rapport pour l’année 2023. Une donnée retient l’attention : le montant des amendes et des pré-amendes notifiées aux entreprises par la DGCCRF pour non-respect de la réglementation pour les délais de paiement a cru de 74 % en 2023.
Au regard de l’impact majeur du nouveau Règlement européen en cours de vote, ce dernier prévoit l’abaissement de 60 à 30 jours des délais légaux de règlement. Il est impératif pour les entreprises d’évaluer la conformité de leur organisation interne de paiement des fournisseurs afin d’éviter de lourdes amendes et une publication de la décision de sanction.
Bref rappel des règles applicables :
L'article L441-10 du Code de commerce fixe les règles générales relatives aux délais de paiement entre entreprises :
- sauf accord entre les parties, le délai de règlement est fixé à 30 jours à compter de la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation ;
- le délai convenu entre les parties ne peut dépasser 60 jours à compter de la date d'émission de la facture (par dérogation, un délai maximal de 45 jours fin de mois peut être convenu) ;
Des règles spécifiques s’appliquent pour certains secteurs (30 jours impératifs pour les transports notamment).
Le non-respect des délais de paiement est passible d'une amende administrative, fixée par l'article L441-16 du code de commerce, qui peut atteindre 2 millions d'euros (4 millions en cas réitération dans les deux ans) et qui sera systématiquement publiée par la DGCCRF.
Selon les règles prévues dans des lignes directrices publiées par la DGCCRF en 2021, le critère principal de détermination de l’amende est le montant de la rétention de trésorerie générée par les manquements. Ce montant se calcule en additionnant les gains en besoin de fonds de roulement (« BFR ») générés par les retards de paiement des factures concernées.
Le résultat de ce calcul est ensuite ajusté en tenant notamment compte de :
- la taille de l’entreprise, en fonction de l’importance de son chiffre d’affaires ;
- l’importance relative du retard par rapport au délai maximum prévu par la réglementation (plus le délai est court, plus le retard est grave) ;
Bilan des contrôles réalisés en 2023 :
Le bilan des contrôles réalisés par l’Administration (DRIEETS au niveau local et DGCCRF) en 2023 confirme la persistance des constats effectués les années antérieures :
- les manquements relevés concernent majoritairement les plafonds applicables aux délais de paiement convenus et ceux relatifs aux prestations de transport de marchandises ;
- le règlement des prestations de transport concentre un bon nombre des retards relevés, en raison notamment des difficultés de validation inhérentes à la spécificité de la prestation, qui nécessite la mise en place de processus de réception et de validation de documents de transport, parfois reçus tardivement, retardant d’autant le règlement des prestations ;
- la grande majorité des contrôles réalisés mettent en exergue des défaillances en matière d’organisation comptable (circuits de validation trop longs ou trop complexes, externalisation des circuits de paiement à l’étranger).
De manière générale, les anomalies relatives au formalisme des factures sont persistantes et font habituellement l’objet d’injonctions de mise en conformité. Ces difficultés peuvent parfois être le fait du fournisseur qui va indiquer sur la facture une date de règlement postérieure à la date-limite du plafond légal applicable.
En outre, les opérateurs appréhendent difficilement le principe de coresponsabilité qui prévoit que le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de service, et que l’acheteur est également tenu de la réclamer.
Beaucoup d’entreprises clientes indiquent en effet ne pas pouvoir effectuer des relances systématiques, et il s’agit d’une réelle source d’incompréhension lorsque les retards de paiement constatés sont principalement fondés sur ce motif.
Or l’Administration est claire dans ses contrôles : un mauvais payeur ne peut rejeter la faute à son fournisseur qui n’aurait pas communiquer la facture à temps pour un paiement dans les délais convenus.
Les suites données aux constats réalisés sur l’année 2023 sont réparties de la façon suivante :
- 80 avertissements (soit 30,41 % des suites) : envoi d’un courrier au professionnel pour les cas de dépassements non significatifs, demandant aux entreprises de se conformer à la réglementation et les avisant qu’un nouveau contrôle interviendrait ultérieurement et pourrait, le cas échéant, donner lieu à des sanctions ;
- 12 injonctions à se conformer aux obligations légales et à cesser tout agissement illicite ;
- 171 procès-verbaux de constats de manquement, qui ont donné lieu au prononcé d’une amende administrative (soit 65 % des suites) ;
En 2023, les procédures de sanction administrative ont représenté un total de 58,4 millions d’euros d’amende environ (contre 33,5 millions d’euros en 2022).
L’impact du futur Règlement européen
La proposition de Règlement 2023/0323 (COD) publiée en septembre 2023 avait stupéfait nombre d’acteurs économiques en abaissant le délai légal à 30 jours sans aucune dérogation sectorielle, constituant une épée de Damoclès sur la trésorerie de la majorité des entreprises concernées.
La position du Parlement européen arrêtée en première lecture dans le cadre de la procédure législative ordinaire fin avril 2024 a certes adouci le traitement : le Règlement ne devrait pas s’appliquer aux paiements résultant d’achats, de ventes, de livraisons, de commissions ou d’opérations d’agence contribuant à la fabrication de livres.
Dans les transactions commerciales, le délai de paiement ne devrait pas dépasser 30 jours civils. Ce délai s’appliquerait tant aux transactions entre entreprises qu’aux transactions entre pouvoirs publics et entreprises.
Dans les transactions commerciales entre entreprises, lorsque le contrat le prévoit expressément, le délai de paiement pourrait être prolongé jusqu’à 60 jours civils. Dans les transactions entre entreprises portant sur l’achat de marchandises à rotation lente ou de marchandises de nature saisonnière, le délai de paiement pourrait être prolongé jusqu’à 120 jours civils, à compter de la date de réception de la facture.
Il faudra déterminer si la nouvelle majorité au Parlement européen modifiera cet aménagement dans les prochains mois.
La pression demeure sur les entreprises afin qu’elles améliorent leurs délais de règlement.
Philippe Jouvet
Associé
Avocat specialise en droit de la concurrence, distribution et consommation, philippe jouvet est un expert du secteur agricole et agro-alimentaire.
Avant de rejoindre Ginestié Magellan Paley-Vincent en qualité d’associé, Philippe Jouvet était Responsable juridique concurrence, distribution et consommation au sein de la coopérative TEREOS au sein de laquelle il a mis en œuvre le dispositif prévu par la Loi EGALIM.