L’ACCES AU DOSSIER MEDICAL PARTAGÉ EN 2022
Par Nathalie Boudet-Gizardin, counsel et Charlotte Denis, stagiaire
En 2018, le Président de la République a annoncé une refonte globale du système de santé mise en œuvre dans le cadre du projet « Ma Santé 2022 ».
Neuf chantiers principaux ont été identifiés dans les travaux préparatoires et déployés dans la loi n°2019-7774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé :
- La structuration territoriale des soins
- L’adaptation des formations professionnelles
- La gradation des soins et l’évolution des groupements hospitaliers de territoire (GHT)
- L’évolution des compétences managériales (notamment médicales) à l’hôpital
- La régulation et les soins non programmés
- La diversification des conditions d’exercice et des parcours professionnels
- La qualité et la pertinence des soins
- Le numérique en santé
- Le financement et la tarification
Parmi ces chantiers, une place centrale est donnée à la transformation numérique de la prise en charge du patient en ville et/ou à l’hôpital. En outre, la numérisation du parcours de soins du patient est devenue un impératif dans le contexte de l’épidémie actuelle où le recours à la télésanté s’est avéré indispensable pour garantir la continuité des soins sur nos territoires.
Afin d’accompagner les patients et les professionnels de santé dans ce virage numérique, il est apparu plus que jamais nécessaire de centraliser efficacement les informations médicales du patient au sein d’un dossier médical numérique, accessible et pratique, plus connu sous le nom de « dossier médical partagé » (DMP).
Comme nous l’avions précédemment évoqué dans un article publié dans la Revue du Praticien en 20201, accessible sur notre site2, la numérisation du dossier médical du patient n’est pas une création récente.
En effet, la loi n°2004-810 du 13 août 2004 a institué pour la première fois un dossier médical informatisé, appelé aussi « dossier médical personnel ». Ce dossier avait vocation à retracer l’ensemble des antécédents médicaux du patient et était uniquement accessible par ce dernier et ses soignants via internet. 400.000 dossiers seulement ouverts en 2014, le projet de création d’un dossier médical personnel est un échec. Trop complexe à mettre en œuvre, le législateur décide de le moderniser, par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016, en instaurant le « dossier médical partagé » dont la mise en œuvre est confiée à l’Assurance Maladie. Chaque bénéficiaire de l’Assurance Maladie peut donc disposer d’un DMP, sous réserve de son consentement exprès. Nouvel échec : très peu de DMP sont ouverts par les patients, et ils sont généralement sous alimentés par les soignants.
Soucieux toutefois de poursuivre ce virage numérique amorcé en 2016, devenu incontournable, le DMP a fait l’objet de modifications récentes3 par un décret n° 2021-1047 du 4 août 2021 dont les dispositions sont en vigueur depuis le 1er janvier 2022.
Quel est le contenu du DMP ?
Le DMP reste un carnet de santé numérique dans lequel sont consignés :
- Les résultats des examens du patient,
- Ses allergies,
- L’historique des soins qu’il a reçus,
- Les traitements qu’il a pris et suivis,
- Les données relatives à sa personne de confiance,
- Ses directives anticipées,
Etc.
Comment accéder à mon DMP en 2022 ?
Tous les bénéficiaires de l’Assurance Maladie peuvent avoir un DMP.
On ne peut accéder à son DMP que par l’intermédiaire d’un espace numérique de santé (ENS4),protégé et sécurisé, regroupant, outre le DMP, les données administratives du patient titulaire du dossier, ses constantes de santé, et l’accès à une messagerie sécurisée. Le patient ne pourra donc accéder à son DMP que par l’intermédiaire de son ENS5.
Qui est chargé de créer mon DMP ?
Depuis le 1er janvier 2022, un dossier médical partagé doit en principe être créé automatiquement par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie pour chaque bénéficiaire de l’Assurance Maladie6.
Par ailleurs, l’ouverture de l’ENS permettant d’accéder à son DMP se fera de façon progressive entre janvier et mars 2022.
Pour ce faire, les bénéficiaires de l’Assurance Maladie recevront un courrier électronique individuel7 détaillant les modalités de mise en place de leur ENS et précisant son articulation avec leur DMP actuel, s’il existe.
Puis-je refuser la création de mon DMP ?
Si la création d’un DMP est en principe automatique, elle n’est pour autant pas obligatoire. En effet, tout bénéficiaire de l’Assurance Maladie peut, à la réception de ce courrier, choisir d’activer son ENS ou, au contraire, exercer son droit d’opposition à la création de cet espace8. Les modalités de ce droit d’opposition sont précisées sur le portail de l’ENS et sa mise en œuvre s’effectue par le biais d’une démarche en ligne.
Qui peut avoir accès à mon DMP ?
Les modalités d’accès sont circonscrites et encadrées strictement par le Code de la santé publique9.
Ainsi, peuvent avoir accès au DMP :
- Le patient titulaire de son DMP,
- Les professionnels de santé concourant aux soins du patient en ville et à l’hôpital.
Toutefois, l’accès au dossier médical partagé d’un patient par des professionnels de santé est toujours conditionné au consentement préalable du patient10. Ce consentement peut être recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée.
Lorsque le professionnel est membre d'une équipe de soins dans un établissement de santé, l'accès au DMP est autorisé dans le cadre de la prise en charge effective du patient. Il est réputé autorisé à l'ensemble des professionnels membres de la même équipe de soins.
En revanche, le partage, entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, d'informations nécessaires à la prise en charge d’un patient requiert, à nouveau, son consentement préalable.
Muni de sa carte professionnelle et de la carte vitale de son patient, un médecin de ville peut donc, avec son accord, accéder et alimenter le DMP de son patient en se connectant sur le site dmp.fr ou en utilisant son logiciel de gestion des patients.
En outre, le patient peut également s’opposer à l’accès à un ou plusieurs professionnels de santé de certaines données de son dossier médical, en allant dans l’onglet « confidentialité » et en activant la fonction « masquer à un professionnel de santé ». Il peut en revanche à tout moment revenir sur sa décision.
Une information du DMP peut-elle être rendue provisoirement inaccessible au patient ?
L’article R. 1111-53 du CSP prévoit, à titre exceptionnel, la possibilité pour un professionnel de santé de rendre provisoirement inaccessible à son patient, une donnée sur son état de santé, versée dans le DMP, lorsqu’il estime que cette information « ne doit pas être portée à la connaissance du patient sans accompagnement ».
L’information est alors rendue inaccessible jusqu’à la mise en œuvre d’une consultation d’annonce du patient.
Dans un délai de deux semaines suivant le versement d’une donnée inaccessible dans le DMP, et en l’absence de la consultation d’annonce, le patient est informé par tout moyen y compris dématérialisé d’une mise à jour de son DMP, l’invitant à consulter un professionnel de santé, notamment son médecin traitant, pour en prendre connaissance.
Si la consultation d’annonce n’a pas eu lieu un mois après le versement de la donnée dans le DMP, cette information devient alors au bout d’un mois, « automatiquement accessible » au patient.
Cette refonte du DMP a pour principal objectif d’améliorer la qualité de la prise en charge du patient, en permettant un suivi optimisé et mieux coordonné des soins qui lui sont apportés, entre la médecine de ville et l’hôpital. Reste que l’efficacité de ces nouvelles mesures dépend de l’usage qui sera fait en pratique du DMP aussi bien par les patients que par les soignants. Même si cette digitalisation parait inévitable, on sait qu’elle peut être compliquée à mettre en œuvre en pratique, du fait de la fracture numérique touchant certains territoires paupérisés et certaines catégories d’usagers encore peu familiers de ces nouveaux modes de communication numériques. Espérons que cette troisième étape juridique permette une réelle amélioration de la prise en charge des patients.
Pour toute question spécifique concernant le droit de la santé, vous pouvez contacter le cabinet.
- La revue du praticien.fr-avril 2020_tome70_numero4.
- https://ginestie.com/responsabilite-medicale-quelles-traces-garder-de-laction-medicale/
- Décret n° 2021-1047 du 4 août 2021 relatif au dossier médical partagé
- Décret n° 2021-1048 du 4 août 2021 relatif à la mise en œuvre de l'espace numérique de santé
- R. 1111-45 du CSP.
- R. 1111-40 du CSP.
- R. 1111-28 du CSP.
- R. 1111-29 du CSP.
- R. 1111-44 et suiv. du CSP.
- R.1111-46 du CSP.
Nathalie Boudet-Gizardin
Counsel
Elle a rejoint le cabinet la même année au sein de l’équipe Civil et Santé de Catherine Paley-Vincent. Elle conseille les acteurs de santé particulièrement en matière de :
Défense civile, disciplinaire et pénale des professionnels de santé, des ordres professionnels et des laboratoires de biologie médicale et vétérinaire
Conseil et assistance des professionnels de santé pour structurer leurs activités, y compris dans le cadre de coopération public/privé, notamment en imagerie médicale.