Violences sexuelles faites aux mineurs : vers une future obligation de signalement à la charge des médecins ?
Par Catherine Paley-Vincent, Avocat associée et Charlotte Denis, stagiaire.
Si l’inceste et les agressions sexuelles sur les mineurs sont sanctionnés par l’article 222-31-1 du code pénal, beaucoup de crimes restent encore aujourd’hui couverts par le secret familial ou celui que s’impose l’enfant, muré dans le silence de ses traumatismes. Or, ces violences touchent le plus grand nombre et concerneraient environ une personne sur dix.
C’est pour lutter contre ce fléau et garantir une protection plus efficace des victimes, qu’une Commission indépendante de l’inceste et des violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) a été mise en place en mars 2021, pour une durée de 2 ans.
Après avoir reçu 11 000 témoignages et accompli un an de travail, elle a présenté, le 31 mars 2022, des conclusions intermédiaires assorties de préconisations.
Parmi ces dernières, il convient de retenir la préconisation n°4 qui entend mettre à la charge des médecins une obligation de signalement.
Faire peser une telle obligation semble relever de l’évidence. En effet, comme le souligne la HAS, en tant qu’acteurs de proximité, les médecins sont les plus susceptibles de reconnaitre et de percevoir les signes physiques ou psychologiques révélant une maltraitance chez l’enfant. Ils sont également plus sensibilisés à la question, ayant accès à des formations et à de la documentation leur permettant de savoir comment effectuer ces signalements.
En effet, la combinaison des articles R. 4127-44 du code de la santé publique et 226-14- 2° du code pénal autorise le médecin à déroger au secret médical, dès lors qu’il constate, dans l’exercice de sa profession, des sévices ou privations sur un mineur lesquels lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques ont été commises.
Ce signalement s’effectue, dans les cas les plus graves, auprès du Procureur de la République et/ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIT).
Cependant, ces signalements sont aujourd’hui une simple faculté pour le médecin, soumis à la rigueur de son expérience et à sa seule conscience. Ils sont d’ailleurs assez rares et ne représentent, selon l’HAS, que 5% des signalements soumis aux Parquets. A l’inverse, la préconisation de la CIIVISE entendrait faire de ce devoir une obligation. Celle-ci devrait bien sûr s’entourer d’une grande prudence tant ses conséquences peuvent être lourdes pour l’enfant, sa famille et le médecin.
La création d’une obligation de signalement est susceptible de générer des difficultés d’exercice pour le médecin.
La mise en œuvre d’une telle obligation aggraverait encore le risque de représailles des familles contre ces médecins. En effet, les familles peuvent saisir les juridictions ordinales et/ou pénales, en arguant du fait que le signalement effectué par le médecin est infondé, prématuré ou tardif ou encore téméraire. Or, le médecin, outre l’angoisse lié à ce type de procédures, est susceptible d’encourir d’importantes sanctions disciplinaires allant du simple blâme à l’interdiction d’exercice, susceptibles de briser une carrière.
Par ailleurs, même si la préconisation n°5 de la CIIVISE prévoit de suspendre les poursuites disciplinaires à l’encontre des médecins protecteurs qui effectuent des signalements, pendant la durée de l’enquête pénale pour violences sexuelles contre un enfant, cette mesure est trop circonscrite dans le temps et ne permet pas aux médecins d’effectuer ces signalements sans crainte de répercussions. Dès lors, il serait souhaitable, pour protéger les médecins et les conduire à effectuer ces signalements protecteurs, d’accroitre la portée de cette préconisation.
En outre, cette nouvelle obligation devra se concilier avec l’article R.4127-51 du code de la santé publique qui interdit au médecin de s’immiscer sans raison dans les affaires de famille ou dans la vie privée de ses patients. En effet, si les violences ne sont que de simples soupçons, non confortées par un constat clair, sinon évident, faut-il aller jusqu’au signalement ? La volonté de protéger l’enfant à tout prix, justifie-t-elle cette immixtion dans les affaires de sa famille ?
Par ailleurs, il convient également de définir les modalités que devra prendre ce signalement. Sera-t-il identique à celui existant ou prendra-t-il une autre forme ? La question est essentielle car la rédaction de ce signalement doit être faite avec le plus grand soin et comporter plusieurs mentions et descriptions précises des faits relatés par le médecin.
De plus, il ne faudrait pas que cette obligation ternisse et affaiblisse la relation entre un médecin et son patient et conduise à des effets contreproductifs. Par exemple, les parents, par crainte d’un signalement, pourraient ne plus soigner leur enfant et ce dernier pourrait ne plus avoir confiance dans le médecin qui l’interroge et cherche à savoir.
Ainsi, les préconisations apportées par la CIIVISE sont essentielles et ont pour objectif de mettre en place et en œuvre une protection des enfants subissant des incestes ou des violences sexuelles. Alors que ces préconisations sont pertinentes, il convient toutefois d’en souligner les failles éventuelles, dont l’insuffisante protection des médecins effectuant ce signalement au regard de possibles plaintes déontologiques.
Le projet porté par la CIIVISE n’est pas encore achevé. Il est certain que ce celui-ci évoluera et apportera des réponses aux délicates questions posées.
Catherine Paley-Vincent
Associée
Expert reconnu en droit de la santé, elle intervient notamment pour la constitution et le suivi de structures entre professionnels de santé hospitaliers et/ou libéraux, pour la gestion des conflits éventuels et de leurs suites transactionnelles, judiciaires ou disciplinaires. Le domaine de l’Imagerie médicale lui est particulièrement familier.
Elle conseille des laboratoires pharmaceutiques en matière de dispositifs médicaux, d’étiquetage et d’essais cliniques.
Elle est régulièrement consultée sur l’application de la déontologie, notamment en matière de réglementation des Ordres professionnels de réseaux, de publicité et d’internet utilisé dans le monde médical et vétérinaire.